TOUT POUR LA MUSIQUE !
Lille
Nouveau
Siècle
Serge
Rachmaninov : Variations sur un thème de Paganini opus 43
Gustav
Mahler : Symphonie n°4 en sol majeur
8 juin 2019
Alexander
Gavrylyuk (piano), Elizabeth Watts (soprano), Orchestre National de Lille, Alexandre
Bloch (direction musicale)

Lille. Samedi 8 juin. 16h30. Place Mendès-France.
En plein centre-ville, à quelques minutes de la Grand Place, de son beffroi, de
son opéra, du célèbre magasin de gaufres Meert, se dresse un ensemble
architectural de huit étages (essentiellement, des logements HLM) dont on peine
à croire qu’il peut accueillir en son sein le somptueux auditorium du Nouveau
Siècle. Celui-ci inauguré en janvier 2013 a fait l’objet d’une rénovation
complète, à la fois esthétique et architecturale, « pour devenir une
salle de concerts de 1750 fauteuils » spacieuse, lumineuse, aux
couleurs sobres et aux essences de bois recherchés. À l’origine, cette salle construite en 1973 était un Palais des
Congrès dont l’activité était dévolue accessoirement à la musique. En homme de
combat et de conviction, Jean-Claude Casadesus parvint à convaincre les édiles
de relever le défi d’une salle moderne répondant à toutes les exigences techniques
et technologiques – elle dispose d’un studio numérique.
L’architecte Pierre-Louis Carlier et l’acousticien
Yann Jurkiewicz du cabinet belge KahleAcoustics ont suivi les conseils du
Maestro pour qui « le meilleur volume pour le son est celui de la boîte
à chaussures ». D’où un nouveau défi : transformer la structure
en forme de coquille Saint-Jacques, en construisant de nouvelles parois pour
reconstituer un parallélépipède, « sans
recoins, propice à la propagation du son. » En réceptionnant cette salle,
Jean-Claude Casadesus déclara : « Les
musiciens n’auront plus le droit de ne plus jouer ensemble au prétexte qu’ils
ne s’entendent pas ! »
Satisfait du résultat, confiant en l’avenir,
Jean-Claude Casadesus qui, en quarante années, œuvra pour la musique et sa
démocratisation, passa le flambeau au jeune chef d’orchestre Alexandre Bloch
nommé directeur musical en 2016 et dont le mandat a été reconduit, en décembre
dernier, jusqu’en juillet 2024. Le chef fondateur de l’Onl voulait partager
l’élitisme de la musique avec le plus grand nombre et les publics les plus
divers. Pas de culture au rabais ! Alexandre Bloch poursuit le même chemin
en installant les concerts connectés, les ciné-concerts pour les enfants à
partir de deux ans et la relaxation musicale pour les jeunes mamans.
Jean-Claude Casadesus et l’Orchestre national de
Lille ont d’évidentes « affinités
électives » avec l’univers des symphonies de Mahler comme en
témoignent les enregistrements réalisés pour Forlane ou plus récemment, une Deuxième Symphonie Résurrection captée
live par le label Évidence au
lendemain des attentats de Paris de novembre 2015. Alexandre Bloch s’inscrit
dans cette lignée de chefs mahlériens en programmant l’intégralité des
symphonies sur deux saisons. À
la différence de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg qui les donnera au
cours de deux prochaines saisons avec différents chefs, Alexandre Bloch dirige les
neuf symphonies achevées et privilégie un ordre chronologique.
Ce 8 juin, Alexandre Bloch se mesure à la plus
délicate des symphonies de Mahler, la Quatrième
en sol majeur. Mahler la compose au cours de l’été 1900 dans le Häuschen qu’il
s’est fait bâtir près de sa future villa de Maiernigg. Après les monumentales Deuxième et Troisième symphonies, le compositeur éprouve le besoin de ne plus
rechercher l’originalité : « Désormais,
je suis tout à fait satisfait lorsque je peux couler mon message dans un monde
traditionnel et j’évite toute innovation gratuite qui ne soit pas indispensable. »
Il propose donc à ses contemporains une
symphonie d’une durée plus courte (50’), de dimension plus modeste (4
mouvements) et d’un effectif orchestral plus réduit (pas de trombones, de tuba
et moins de percussions). Cet apparent classicisme heurtera le public et les
critiques de l’époque !
Quel est l’esprit de la symphonie ? On
souscrit pleinement aux propos d’Henry-Louis de la Grange qui voyait dans cet
ouvrage « une nostalgie affectueuse
pour un temps meilleur, un temps de l’innocence à jamais révolu. »
Tout n’est qu’ambiguïté dans cette symphonie ! La lumière flirte avec
l’obscur, la naïveté épouse la gravité, la gaieté joyeuse se pare de moments de
profonde tristesse. Et le lied final, clé de voûte de la pensée mahlérienne,
résout par un enchantement enfantin le dilemme : les âmes tourmentées et
torturées ont aussi droit d’accéder au royaume céleste.

Alexandre Bloch aime Mahler et fait sienne
cette citation de T.S. Eliot qui a écrit : « Dans ma fin est mon commencement. » De bout en bout, son
interprétation est architecturée et arc-boutée vers le mouvement conclusif, ce
dernier nous renvoyant au mouvement initial. Son approche allie sensualité et
ironie, dramatisme et intériorité, sans afféterie excessive, et nous vaut un Ruhevoll
de belle facture même si nous eussions préféré un pupitre de cordes moins terne
dans le médium et une timbale un peu moins envahissante dans les climax. Si elle avait une chevelure blonde, nous
aurions pu imaginer Elizabeth Watts en Mélisande. Celle qui remporta le prix
Kathleen Ferrier en 2006 fait son apparition à pas feutrés et quitte la scène de
la même manière comme un ange qui ne fait que passer. Incontestablement, elle
sublime le chant céleste de son timbre charnu et extatique et Alexandre Bloch
qui ne la quitte pas des yeux un seul instant lui tisse un bel écrin.

Ce concert débutait avec les Variations sur un thème de Paganini opus 43 de Rachmaninov.
Belle association, car Mahler eut à New York pour soliste le compositeur de ces
Variations dont le thème est celui du 24ième Caprice pour violon seul de Paganini. Thème qui
inspirera Liszt, Schumann, Brahms, Liszt, Lutoslawski, etc. Le pianiste Alexander Gavrylyuk qui fit ses
débuts français lors du Festival de Colmar 2010 ne manque ni de fermeté ni de
douceur pour défendre cette partition concertante tandis que l’Orchestre montre
toute la mesure de sa puissance sous la direction précautionneuse d’Alexandre
Bloch.
Ce concert se termina par une rencontre « en
bord de scène » entre Alexandre Bloch, Elizabeth Watts et le public.
Olivier Erouart
Suite de l’intégrale Mahler avec la Cinquième
Symphonie en ut dièse mineur
À
Dunkerque (Le Bateau en feu), le 24 juin à 20h
À
Saint-Denis (Festival), le 25 juin à 20h
À
Compiègne (Festival des Forêts), le 27 juin à 20h30
À
Lille (Nouveau Siècle), le 28 juin à 20h
https://www.onlille.com
Les photos sont de Ugo Ponte